« On a observé comment les gens faisaient, il n’y a rien de compliqué » : naturisme, mode d’emploi

« A-t-on le droit de se balader plus ou moins nu dans la rue ou sur la plage ? Et chez soi ? » Chaque été, souvent à la suite d’un fait divers, reviennent les mêmes questions. La France a beau être la première destination naturiste au monde, ce mode de vie reste méconnu et souvent confondu avec d’autres formes de nudité.

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« Le naturisme, c’est vivre nu. Cela implique deux éléments : l’environnement naturel et la vie en communauté, définit Margaux Cassan, philosophe et autrice de Vivre nu (Grasset). Ce qui, pour moi, exclut plein de formes de nudité, comme la nudité revendicative des happenings politiques, la nudité seul(e) dans son jardin, qui s’apparente plus au nudisme ; ou encore les visites nues au musée. »

Sans définition, plein d’interprétations

Le naturisme est aussi souvent assimilé au délit d’exhibition sexuelle. « La simple nudité n’est plus du tout répréhensible en France depuis 1994, date à laquelle le délit d’attentat à la pudeur a été remplacé par celui d’exhibition sexuelle dans le Code pénal », retrace Jacques Frimon, vice-président de l’Association pour la promotion du naturisme en liberté (Apnel). C’est-à-dire, en dehors des lieux dédiés à ce mode de vie.

Créée en 2007, l’Apnel milite pour que l’article 222-32 du Code pénal, réprimant l’exhibition sexuelle, intégré dans le chapitre consacré aux agressions sexuelles, soit clarifié. « On peut être accusé d’exhibition sexuelle que l’on soit habillé ou nu. Ce qui prouve bien que le problème n’est pas la nudité, mais le comportement sexuel, cadre ce pharmacien retraité, pratiquant depuis 45 ans. Une question prioritaire de constitutionnalité a été déposée il y a dix ans mais elle n’a pas été transmise au Conseil constitutionnel. À croire que la justice connaît ce problème de définition, mais qu’elle ne veut pas s’en emparer. »

Un monde de liberté pourtant très codifié

De fait, le texte est encore apprécié différemment selon les forces de l’ordre. D’où le soutien juridique proposé par l’Apnel en cas d’interpellation. « On intervient surtout en cas d’accusation d’exhibition sexuelle. On aide une douzaine de naturistes chaque année, en payant leurs frais de justice au besoin », détaille le vice-président de l’association, qui vit grâce aux dons et cotisations de quelque 200 membres.

À une condition : que la personne interpellée accepte de raconter son histoire. « Ça permet de faire le tri, estime Jacques Frimon, par ailleurs fan de « randonue ». Un exhibitionniste n’aura pas du tout envie de s’exposer. » Contrairement aux naturistes, plutôt fiers de partager cette philosophie, qui favoriserait le respect de soi, des autres et de l’environnement. Encore faut-il en connaître les règles… Car paradoxalement, le naturisme, contre-culture prônant la liberté, est très codifié. La plupart des campings et villages ont d’ailleurs leur propre charte de conduite.

Journées sans maillot et réseaux sociaux

« Le naturisme ne se pratique pas, il se vit », précise d’emblée Viviane Tiar, présidente de la Fédération française de naturisme (FFN), qui organise chaque année plusieurs journées sans maillot pour se faire connaître. Créée en 1950, la FFN compte quelque 15 000 licenciés et représente plus de 2,5 millions d’adeptes, avec une majorité de plus de 50 ans. « Cela reste une pratique de « boomers », souligne le sociologue Christophe Colera, auteur de La nudité : pratiques et significations (éditions du Cygne). Même s’il y a un rajeunissement récent, il est relatif. »

Alors, comment connaître les usages sur ces sites lorsque l’on n’a pas été initié plus jeune ? Bien souvent, l’apprentissage des valeurs et des codes se fait en regardant les autres. Et aujourd’hui, grâce aux médias et aux réseaux sociaux. Avant de se lancer l’an dernier, Marylin, 50 ans, et Julien, 44 ans, ont vu plusieurs reportages « sur la TNT ». Et petit à petit, du nudisme, qu’ils pratiquaient chez eux au bord de la piscine, ils ont basculé vers le naturisme.

« On ne connaît pas vraiment de naturistes. Mais l’idée d’être plus proches de la nature, de se sentir vraiment libres… Ça nous parlait. Après avoir vu les reportages et en avoir discuté, on s’est dit pourquoi pas essayer sur une plage prévue pour ça, raconte le couple, ensemble depuis cinq ans. C’était vraiment d’un commun accord, on n’a pas eu à se convaincre l’un ou l’autre. »

« Rien de compliqué »

La seule réticence de Julien venait d’un problème dermato. « Ça me complexait pas mal, mais une fois les plaques traitées, on s’est lancés pendant nos vacances en septembre aux Sables-d’Olonne », s’amuse cet ex-gendarme. Restait à trouver les accès auxdites plages. « On a un peu galéré à trouver certaines zones naturistes sur les plages, se souvient-il. D’autant qu’on était hors saison et donc il n’y avait pas grand monde hormis de petits groupes de retraités. »

De quoi prendre ses marques en douceur : « Avant d’arriver, on se demandait comment on allait faire concrètement : est-ce qu’on passe le panneau habillés ou nus ? Est-ce qu’il y a un seuil d’intimité sur la plage ? On est sortis de la voiture habillés et sur place, on a observé comment les gens faisaient. En fait, il n’y a rien de compliqué. »

Le fait d’être nus face à d’autres n’a pas plus perturbé que ça le couple. « On n’a jamais été trop pudiques, mais on s’est demandés si on allait nous juger. Ça n’a pas été le cas, personne ne se regarde avec insistance. » Il n’y a que les « textiles », comprendre les non-naturistes, pour ne pas toujours être à l’aise aux abords de ces plages. « Les gens regardaient leurs pieds. » Pour Marylin et Julien, l’expérience est sans regrets, au contraire. « Ça a réglé la question du maillot de bain, il n’y avait jamais rien qui allait ! »

« Est-ce qu’on va oser ? »

Cet été, ils ont réservé une semaine en camping dans les Gorges du Verdon, « en pleine saison justement », pour se confronter aux autres. « L’année dernière, on n’a pas parlé à grand monde. Une dame nous a salués, c’est à peu près tout. Tandis que là, on va aller acheter le pain nus, faire une partie de pétanque… Il va falloir forcément se parler, ça va être un pas, s’interroge le couple. Est-ce qu’on va oser ? Est-ce qu’on va être à l’aise ? »

Et là encore, ils ont quelques questions pratiques. Faut-il être nus partout, par exemple ? « La piscine du camping est le seul lieu où il y a une obligation d’être nus, pour des raisons d’hygiène », répond Viviane Tiar, de la FFN. Sachant aussi qu’il y a une tolérance pour les enfants et les adolescents sur les sites. « Évidemment, on ne les force pas à être nus. »

Pour les adultes naturistes, se balader habillés sur un site naturiste peut être moins bien vu. Au point que cette « textilisation » inquiète de plus en plus la communauté, qui craint une perte des valeurs fondamentales. Ce sont « les naturistes qui ne prennent plus la peine de se dévêtir pour des raisons plus ou moins valables, note sur son site la Fédération des espaces naturistes (Fen). Soit par manque d’information des nouveaux arrivants, soit par le laisser-aller des anciens. »

Restent les usages, qui comme leur nom l’indique, s’apprennent plutôt sur place. « On n’a pas besoin de le dire entre nous, mais on aura toujours sur soi ce qu’on appelle un sous-cul, illustre Viviane Tiar. Généralement un paréo, pour des raisons d’hygiène et de respect de l’autre. » Aujourd’hui, les règles s’appliquent aussi au monde numérique, où les gens se lâchent souvent davantage que hors-ligne.

Ce qui pousse les sites naturistes et certains internautes, comme la journaliste Melanie Mendelewitsch sur son compte Instagram, à rappeler ce que dit déjà la loi. « Je vais à Ibiza depuis que je suis née. Le naturisme fait partie de l’ADN de l’île. Je ne suis pas naturiste, mais je respecte cet art de vivre et ça me paraît évident que les naturistes n’ont pas du tout envie de se retrouver exposés sur Instagram à leur insu par des touristes. Ça montre la totale méconnaissance du lieu où les gens partent en vacances. »

Capture d’écran instagram | @MELNYMENDEL

D’où les précautions de Julien et Marylin, qui ont voulu bien faire en demandant sur un groupe Facebook si le naturisme était autorisé avant de partir en Crète cet été. « On a eu tous les sons de cloche, donc on verra sur place », avise le couple, pressé d’être en congés. « C’est le seul moment où l’on peut être nus dehors, donc on a hâte. » La prochaine étape ensuite pour eux ? « Convaincre nos amis ! »

Source : https://www.ouest-france.fr/societe/on-a-observe-comment-les-gens-faisaient-il-ny-a-rien-de-complique-naturisme-mode-demploi-0e26f45e-140b-11ee-ae57-25b1d1d54a03

1 réflexion sur “Un bel article de Ouest France : naturisme, mode d’emploi”

  1. Très bon article. Si seulement il pouvait être lu nationalement dans plusieurs édito.
    Souhaitons en cette fin d’année que nos contemporains, nos forces de l’ordre, nos hommes de loi et nos politiciens soient plus réceptifs à notre besoin de vivre libres; liberté, égalité, fraternité. N’est-ce pas ce que prône le naturisme?

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