Le Pérégrinu de Compostelle (2011)

par Dominique (Arbaline)

Que dire, qu’écrire quand on revient d’un si long chemin, qu’écrire qui soit recevable par celui qui va nous lire ?

Décrire un paysage, dire des rencontres, donner un itinéraire, c’est simple ; dire ce qui se passe au plus profond de nous, c’est moins simple !

Mettre un pied devant l’autre, marcher sous le soleil cuisant, le crachin, le vent ou l’orage, chercher son rythme propre, son rythme interne, tout en respectant celui de son compagnon de marche, autour de 25 km par jour, parfois moins, parfois plus (36 km !), pas seulement suivre l’autre, mais être soi, savoir le dire, savoir écouter, savoir s’arrêter, marcher à deux n’est pas toujours simple, depuis cinq ans maintenant que nous avançons sur le chemin, nous affinons notre duo.

Au Cébreiro (altitude 1500 m.) Pont romain

S’arrêter à l’étape, au gîte, une halte toujours attendue, la difficulté des derniers kilomètres, toujours trop longs (surtout pour Dominique), traverser un village, entrer dans une petite chapelle restée intacte depuis le fin fond du Moyen âge, mettre ses pieds dans les pas des pèlerins qui depuis des siècles partaient de chez eux pour venir sur ce même chemin : c’est ainsi au quotidien !

Manger une bonne omelette, une tortilla, parfois avec des frites ;-))) à 10h du matin, parce qu’on a déjà marché plus de trois heures, et retrouver la vraie saveur d’un café, hum que c’est bon… ;-))))

Déposer au pied de la Cruz de ferro, une petite pierre amenée de chez nous, boire une bonne cerveza, égrener les lieux et les noms, Leon, Astorga, Foncebadon, Pontferrada, La Faba, O’Cebreiro, Triacastela, Samos, Santiago, Olveiroa, Cée,… S’amuser à se photographier en imitant la pause des nombreuses statues de pèlerins, et hélas !!! beaucoup plus rarement de pèlerines – et pourtant elles sont nombreuses sur le chemin !

Ajouter les rencontres, Danois, Israéliens, Hongrois, Italiens, Roubaisiens d’origine (et même d’Halluin ;-))), Argentins, Italiens, et bien sûr Espagnols,… A l’occasion d’une rencontre, les souvenirs remontent, tristes ou joyeux, comme si on révisait sa vie, la mémoire secouée, les meilleurs moments, les émotions, les temps forts enfouis mais pas oubliés, un pas, puis un autre…

L’énergie et la foi transmises par les pierres…

Grimper dans une montagne couverte d’ajoncs et de bruyères, cheminer sous les arbres centenaires, châtaigniers, chênes, eucalyptus, se souvenir de la brûlante Meseta, découvrir au loin les tours de la cathédrale de Santiago ou plus loin encore vers Fisterra (le Finistère de l’Espagne), le bleu de l’océan, s’arrêter, pauser, regarder encore la cathédrale, comme si les yeux ne pouvaient s’en détacher, comme fascinés – c’est tout l’être qui est fasciné -, se laisser émouvoir par le rituel du botafumero, l’encensoir immense…

S’étonner de voir, au fond de cette même cathédrale, des géants, tels ceux de nos bourgs flamands (et oui, les Flandres ont été espagnoles), et même, esquisser sur le parvis un pas de danse au son d’une fanfare galicienne, qui nous joue un air… du carnaval de Dunkerque !

Se trouver seuls et nus sur une plage de sable blanc dans une nature encore préservée, suivre les rituels des pèlerins, Lavacolla, où Philippe se baigne dans l’eau fraîche d’une rivière, purification (Dominique a préféré la douche chaude ;-)))), se mettre à nu dès que possible – pour Philippe c’est souvent ! -, se baigner tous les deux dans l’eau glacée de l’océan à Langosteira, comme le faisaient les pèlerins d’antan, aller jusqu’au bout de la terre, au pied du phare de Finisterra, ranimer un feu de brindilles, brûler symboliquement un vieux vêtement, attendre le coucher du soleil, un jour nouveau viendra, un homme nouveau, une femme nouvelle, vraiment ? Se dépouiller, vraiment ? Philippe a déjà oublié son pantalon, quelque part à Manjarin, et c’est radio camino qui nous l’a ramené, via le mythique senor Jato, bien connu du chemin ; Dominique, elle, a perdu sa carte bleue ! Heureusement, c’est une bonne âme qui a du la trouver, car pas de dommages !

Arrivée au Finisterra Cathédrale de Santiago

Un homme nouveau, une femme nouvelle ? Nous verrons bien !

Au-delà des anecdotes, qu’est ce que le chemin ? Chemin histoire ? Chemin dépouillement ?, Chemin construction ?, Chemin porteur de message ?, Chemin mythique, Chemin début d’un nouveau chemin ?

Buen camino !

Cerveza à Santiago

Dominique (Arbaline)

Le Pérégrinu de Compostelle (2011)

par Philippe (Sunkini)

En complément du texte poétique de Dominique, j’évoque à mon tour quelques temps forts du Chemin de Compostelle, vu d’un œil pèlerin et naturiste… Notre marche sur le Camino de Santiago a revêtu cette année, un caractère particulier et émotionnel, car c’était la dernière étape, l’aboutissement d’un long périple de 1600 km à pied, répartis sur 5 années. Enfin, nous arriverons à Santiago et au Cap Finisterre !

Nous étions bien rôdés par l’expérience des années précédentes, et c’est d’un pas soutenu et résolu que nous avons parcouru les étapes de Leon à Santiago, puis jusqu’au Finisterre. Nous sommes restés fidèles à l’esprit « Pérégrinu », en suivant le mot d’ordre de St Jérôme donné aux pèlerins du Moyen âge : « Suivre nu, le Christ nu ».

Pour Dominique, la mise à nu est une démarche toute intérieure pour faire le vide et se laisser remplir des énergies profondes et spirituelles qui émanent les églises romanes, des vieilles pierres, des arbres centenaires ou des paysages si mystérieux de la Galice.

Pour Philippe, séduit par le coté randonue, le Pérégrinu, c’est se mettre dans la peau et la tenue du pèlerin d’autrefois, « nud en chemise » ou ceint d’un simple paréo. C’est cette dimension de la nudité vécue sur le chemin que je mets en relief dans ce compte-rendu.

Pérégrinu Monument des droits
de l’homme à Cée

L’an dernier, nous avions affronté les fortes chaleurs de la Meseta : la nudité se justifiait ; mais cette année la transition est sensible. Le temps fut comme en France, peu clément. De plus, la Galice est, comme la Bretagne, sensible à la fraîcheur de l’Atlantique. Nous avons essuyé quelques orages mémorables. On grimpe jusqu’à 1500 mètres pour franchir le Cebreiro dans le brouillard du petit matin.

La nudité intégrale fut donc assez limitée cette année, mais j’étais très souvent nu sous ma longue chemise de randonnée ou ceint du paréo. Parfois, j’arborais fièrement le tee-shirt beige Originelle marqué du sympathique logo du club. Comme tout naturiste, j’étais peu soucieux de mes vêtements ; j’en ai même oublié mon pantalon sur le chemin. Dur de franchir ensuite le Cebreiro en petit short dans le brouillard à 7 heures du matin. Ainsi, ce dimanche 17 juillet, il n’a pas été possible de m’associer à la « journée sans maillot » dont l’Espagne est familière.

Prendre des photos en associant nudité et lieux culturels a du sens. Nudité et vieilles pierres chargées d’histoire vont bien ensemble. Ainsi, j’ai posé à Cée auprès des statues nues sur les Droits de l’homme ou à Mont de Gozo, aux côtés des pèlerins de bronze découvrant avec joie les clochers de la cathédrale de Santiago, ou encore, nu au pied d’un calvaire en pierre ou sur les marches d’une chapelle. La nudité du chemin est affûtée par la foi des pierres !

Après les marches parfois éprouvantes, la détente était bienvenue : sieste nue dans un jardin public ou baignade dans une piscine d’un gîte… sans maillot naturellement !

Bifurcation vers le Finisterra Ablutions rituelles à Lavacolla

Quand approche le terme de la pérégrination, il est de tradition pour le pèlerin d’accomplir quelques rites : tout d’abord, c’est le bain rituel dans la rivière à Lavacolla (traduit par « Lave-cul »). Je me suis plongé dans la rivière pour les ablutions et pouvoir me présenter propre et digne à la cathédrale ! De même après Santiago, beaucoup de pèlerins (surtout des non-espagnols) poursuivent leur marche jusqu’au Finisterre, la « fin de la terre ». Ici aussi, les rituels sont à respecter pour entrer dans la démarche de l’homme nouveau : le pèlerin brûle ses vieux vêtements du pèlerinage au pied du phare. Pour un naturiste, le vêtement le plus symbolique, le dernier bastion de la pudeur classique est le sous-vêtement. J’ai jeté mon slip au feu avec délectation, et me suis assis nu à coté du feu pour veiller aux flammes, car le vent soufflait assez fort au pied du phare. Dominique a suivi en brûlant deux vieux tee-shirts, symboles de bien des vies passées ! Le lendemain, à la plage de
Langosteira, libérés des vêtements, nous nous sommes jetés nus à la mer pour une baignade tonique suivie d’un bain de soleil intégral sous l’œil indifférent des espagnols.

Traversée de la plage de Sardiniero Repos à la Plage de Cée Monte de Gozo… en vue de Santiago

Enfin, la nudité du chemin, c’est aussi vivre dans la simplicité de la vie communautaire des gîtes : pas de chichi pour aller aux douches fesses à l’air ou pour grimper sur les lits superposés pour s’enfiler nu dans le duvet.

Le Chemin de Compostelle est un chemin d’humilité et de dénuement qui permet de se rencontrer nu avec soi-même, et de rencontrer les autres, dépouillé de tout artifice.

Ultreïa !

Brûler ses vieux vêtements
au Cap Finisterre…

Philippe (Sunkini)
sunkini@orange.fr (mailto:sunkini@orange.fr)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut