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Torses nus en ville : "expression du virilisme, de la domination masculine dans l’espace public"
Torses nus en ville :
« Il y a une expression du virilisme, de la domination masculine dans l’espace public »
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« Je n’ai aucune pudeur », assume d’entrée de jeu Francis, torse nu, en fronçant d’épais sourcils gris sous le soleil de plomb de Paris. Ce quinquagénaire a délaissé son vélo quelques minutes pour s’exposer aux brumisateurs du jardin Villemin qui longe le canal Saint-Martin, dans le 10e arrondissement de la capitale. Son large tee-shirt pend, inutile, sur son porte-bagage. « Je me sens à l’aise », lâche l’homme de sa voix grave, couvrant les cris des enfants qui se rafraîchissent sous les jets d’eau.
Francis fréquente régulièrement le parc et raconte n’avoir « jamais vu une femme se mettre torse nu ici ». Selon lui, ce qui pose problème à la société, ce sont les tétons. « Pourtant, les femmes et les hommes ont les mêmes », regrette le père de famille. Né dans les années 1960, Francis se souvient des plages remplies de femmes au torse nu. « Il y a une sorte de régression, les femmes sont moins libres », conclut le cycliste amateur en haussant les épaules.
Ce que dit la loi
Juridiquement, la pratique du torse nu dans l’espace public n’est ni interdite, ni explicitement autorisée aux hommes comme aux femmes. Dans la loi, deux outils sont privilégiés lorsqu’un législateur souhaite restreindre le « topless ». Pénalement, des poursuites judiciaires peuvent être engagées pour exhibition sexuelle : « En l’absence d’exposition d’une partie dénudée du corps, l’exhibition sexuelle est constituée si est imposée à la vue d’autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d’un acte sexuel, réel ou simulé. » Cependant, la « partie dénudée du corps » n’est pas précisément définie dans le Code pénal : impossible de savoir si les tétons, qu’ils soient masculins ou féminins, sont considérés comme des parties sexuelles.
Le droit concernant l’exhibition sexuelle ne fait donc pas de différence de traitement entre hommes et femmes : « Un arrêté qui interdirait uniquement aux femmes de tomber le haut dans l’espace public pourrait être attaqué en raison de son caractère discriminatoire », confirme Camille Manya, avocate au barreau des Pyrénées-Orientales. Toutefois, en pratique, une femme qui se promènerait torse nu en ville courrait davantage de risques qu’un homme, d’un point de vue légal, estime la spécialiste en droit public : « Je ne suis pas sûre qu’un homme qui exhibe son torse publiquement, même avec des gestes explicites et à connotation sexuelle, soit poursuivi pour exhibition. »
« Décence », « bonnes mœurs » et « troubles à l’ordre public »
Mis à part le délit d’exhibition sexuelle, les arrêtés municipaux peuvent s’appuyer sur la « décence » ou les « bonnes mœurs » pour éviter les troubles à l’ordre public. Mais là encore, ces termes ne sont pas définis dans le droit. « On peut parler d’un flou juridique, confirme l’avocate. Une certaine marge de manœuvre est accordée aux maires, notamment », qui peuvent produire des arrêtés interdisant, par exemple, de se promener en ville dans une « tenue indécente », terme aux contours flous qui laissent une grande latitude aux mairies. Un jugement arbitraire qui pourrait pénaliser les femmes, plus touchées par des polémiques vestimentaires – en 2021, le crop top porté par des lycéennes avait intéressé jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, Emmanuel Macron s’étant positionné contre.
Du fait de leur hypersexualisation, les poitrines des femmes restent couvertes dans l’espace public. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la pratique du « no bra » [le fait de ne pas porter de soutien-gorge, NDLR] se soit développée lors des confinements, lorsque les femmes n’étaient plus soumises aux regards extérieurs.
« Si ce n’est pas légiféré par arrêté municipal, les hommes n’auront pas à se rhabiller [au niveau du torse] pour circuler sur une place publique ou même entrer dans un centre commercial parce que le corps masculin s’autorise à cela. Tandis que systématiquement, les femmes vont couvrir leur poitrine », note Sophie Louargant, enseignante-chercheuse à l’Institut Grenoble Alpes, dont les travaux s’inscrivent dans le champ des études de genre avec une approche sociale, politique des territoires.
Torses nus féminins, manifestement polémiques
L’apparition d’un téton de femme dans l’espace public est si subversive que certaines militantes, comme les Fémen, ont fait de leur poitrine dénudée un outil de revendication politique – et pour cela, elles ont parfois été condamnées (pour exhibition sexuelle ou troubles à l’ordre public), et parfois relaxées. La règle tacite du sein couvert ne souffre que de rares exceptions, toujours justifiées, contrairement aux hommes, par un contexte précis, comme l’allaitement, ou encore le bronzage à la plage. Mais, même dans ces cas-là, exposer ses seins… c’est s’exposer à de potentielles remarques, voire à des injures.
En juillet 2021, une Australienne de 33 ans était priée par des agents de se couvrir, ou de partir, alors qu’elle nourrissait son enfant sur un banc du parc Disneyland. La dernière affaire remonte à ce lundi 21 août, dans un magasin Uniqlo, où une maman se voit montrer la sortie par un vendeur, pour avoir donné le sein à sa fille, a relaté « le Parisien ».
François Kraus, directeur du pôle actualité de l’Ifop expliquait à Franceinfo à l’époque de la sortie en 2019 d’un sondage similaire, que « cette problématique, l’exposition des corps, est beaucoup plus large et ne se limite pas aux plages ».
Aujourd’hui en France, les chiffres sur la pratique du topless dans l’espace public (hors bords de mer) ne sont pas connus. Pourtant, il serait « intéressant de s’y pencher, car ce qu’il se passe autour des plages est aujourd’hui présent au cœur des métropoles », souligne Sophie Louargant, en faisant référence au climat, et aux aménagements tels que les îlots de fraîcheur.
La ville, un espace genré
La chercheuse en géographie sociale (directrice d’« Espace public : quelle reconnaissance pour les femmes ?, UGA Editions), détaille à « l’Obs » :
« Les hommes développent des arguments pragmatiques, mais il y a aussi une expression du virilisme, de la domination masculine dans l’espace public, qui leur est approprié. Le corps considéré comme féminin s’accommode à des usages, et à des codes esthétiques et sociaux. Les femmes ne vont plus se sentir autorisées, on appelle cela la “déprise spatiale” »
L’espace est genré dans le sens où le processus de fabrication de la ville, historiquement et culturellement, a été construit par et pour les hommes, explique encore la maîtresse de conférences : « Ce n’est que tardivement, au XXe siècle, que les femmes ont commencé à se l’approprier, notamment grâce à la bourgeoisie et aux ouvrières. » La question des poitrines dénudées dans l’espace public risque, en tout cas, de se poser avec plus d’acuité dans un contexte de réchauffement climatique et les épisodes plus fréquents de canicule qu’il suscite. De quoi changer les habitudes ?
(Source 20 minutes)
ÉGALITÉ FEMME HOMME - Mercredi, une femme se promenant seins nus dans les rues d’Aurillac (Cantal),
a été poursuivie pour exhibition sexuelle. Samedi, plus d’un millier de personnes se sont rassemblées en soutien.
En marge de ce regroupement, le tribunal a été dégradé
Verbalisation d’une femme se promenant seins nus à Aurillac, dégradations au tribunal judiciaire en marge
d’une manifestation de soutien et débat autour de l’égalité femme homme et de la liberté d’être torse nu dans la rue.
20 Minutes fait le point sur les récents événements qui ont perturbé la 36e édition du Festival de théâtre de rue,
qui avait lieu du 23 au 26 août dans cette commune du Cantal, dans le Massif central.
Que s’est-il passé à Aurillac ?
Mercredi dernier, lors du premier jour de la 36e édition du Festival de théâtre de rue qui avait lieu jusqu’à samedi,
une festivalière, Marina, a été contrôlée par la police alors qu’elle se promenait seins nus dans les rues d’Aurillac.
Refusant dans un premier temps de se couvrir la poitrine, elle a été emmenée au commissariat et a été auditionnée.
A la suite de ce contrôle, elle a fait savoir qu’elle allait être verbalisée, visée par une ordonnance pénale pour « exhibition sexuelle ».
En réaction, une manifestation de soutien a été organisée samedi midi, sur la place de l’hôtel de ville d’Aurillac,
où plus d’un millier de personnes se sont rassemblées
Aucun rapport de la domination masculine en ville avec le torse nu, car en période de grandes chaleurs, c'est uniquement pour l'homme de se sentir bien dans son corps.
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